Delaspre Jean Manuel
Compte rendu d’ouvrage : Paulès, Xavier. L’opium: une passion chinoise, 1750-1950.
Paris: Payot, 2011 :
L’ouvrage
dont nous nous proposons de faire la synthèse a été écrit par Xavier Paulès,
maître de conférences à l’EHESS et membre du Centre d’études sur la Chine
moderne et contemporaine. Ses recherches, qui ont donné lieu à plusieurs
ouvrages, ont pour principaux thèmes l’histoire urbaine de la Chine
contemporaine, l’histoire des jeux de hasard et l’histoire de l’opium, sujet
principal de l’ouvrage dont il est question ici.
Pour mener à bien ses recherches sur cette question de la
présence de l’opium en Chine sur la période 1750-1950, l’auteur s’appuie sur un
nombre de sources important et varié, ainsi que sur une dense bibliographie :
on peut mentionner à titre d’exemple des archives de l’Etat britannique, des revues
et des journaux, des témoignages d’Occidentaux sur la Chine, les wenshi ziliao…
Tous ces éléments donnent un éclairage varié sur la présence et l’influence de
l’opium en Chine durant la période considérée et donne à voir différents points
de vue sur cette drogue.
Dans cet
ouvrage, Xavier Paulès cherche à rendre compte de l’histoire de l’opium en
Chine sur la période 1750-1950 d’une manière originale. De fait, il la traite
sous un angle novateur, à travers la question suivante, qui est le fil
conducteur de l’ouvrage : pourquoi l’opium a conquis de manière
foudroyante une place prépondérante en Chine à partir de 1750 et surtout au
XIXème siècle, au point que dans l’imaginaire collectif cette drogue a été
associée aux chinois, alors qu’en réalité l’opium est une drogue étrangère
(l’opium arrive en Chine en provenance d’Inde via des compagnies anglaises),
pour ensuite perdre tout aussi rapidement son importance et son emprise dans la
société chinoise en étant définitivement éradiqué par Mao et son régime dans
les années 1950 ? Pour répondre à cette question, l’historien utilise 6
biais différents, matérialisés par 6 chapitres, pour rendre compte du fait que
l’histoire de l’opium a de multiples facettes, et il s’écarte des positions
trop tranchées de certains historiens occidentaux comme chinois pour montrer
que le rôle, l’influence et les traces laissés par cette drogue sont bien plus
ambiguës qu’on ne le croit. Mais surtout, et c’est là un point fondamental, son
analyse se focalise avant tout sur la consommation de l’opium par la population
durant sa présence en Chine. Ainsi, le thème de la consommation de l’opium
apparaît comme toile de fond tout au long de l’ouvrage de Xavier Paulès, et
c’est ce que reflète le titre de son œuvre.
Loin de voir simplement l’opium comme un instrument de
l’impérialisme ou bien un fléau qui a été finalement éradiqué, l’auteur cherche
à montrer que l’histoire de l’opium est bien plus complexe que cela, et qu’à
partir de son histoire, c’est l’histoire globale de l’entrée de la Chine dans
la modernité qui peut être invoquée à travers les relations de la Chine avec
les autres puissances, mais aussi les différents régimes et leurs politiques
vis-à-vis de l’opium, ainsi que l’empreinte économique que cette dernière a
laissé, et enfin à travers la vision évolutive qu’ont les chinois eux-mêmes de
l’opium et de sa consommation.
Pour argumenter
son propos, l’auteur a divisé son ouvrage en 6 chapitres distincts mais se
recoupant toutefois, afin d’essayer de rendre compte le plus exhaustivement
possible des différentes implications de l’opium en Chine. L’auteur se
concentre en premier lieu sur la présentation de l’opium même, de sa
préparation à sa consommation, afin d’entrer directement dans le vif du sujet,
puis il élargit son propos et focalise successivement son attention sur l’opium
et les relations extérieures, l’impact macroéconomique de l’opium, les enjeux
politiques de celui-ci, avant de se consacrer plus clairement à sa consommation
à travers l’identification des fumeurs et les lieux de consommation. L’auteur
démontre ainsi que l’opium, s’il a eu des coûts, et notamment humain, a aussi
contribué, après son affaiblissement, au renforcement de l’Etat qui a fait de
la lutte contre l’opium son cheval de bataille, et qui a bénéficié des recettes
fiscales liées à celle-ci., ainsi qu’à l’émergence d’une société civile hostile
à l’opium. Au niveau économique, l’auteur met en évidence le fait que l’opium a
aussi permis le désenclavement de régions isolés. Enfin, au niveau social, il
met en lumière le fait que derrière l’image très négative donnée aux fumeurs
d’opium et une tendance de fond à la baisse de la consommation, cette drogue
s’est révélée être pour beaucoup d’individus un soulagement dans leur vie
quotidienne, prenant ainsi la forme d’une distraction.
Pour
conclure, on peut dire que l’ouvrage est agréable à lire, le style est plutôt
fluide, et l’auteur s’appuie sur un nombre de sources et une bibliographie très
fournis. Surtout l’auteur adopte un point de vue original sur cette question à
travers l’angle de la consommation, qui permet d’expliquer des phénomènes bien
plus larges. Le seul bémol apparent est que le propos est parfois trop dense,
et l’on se perd un peu dans les détails, mais dans l’ensemble l’ouvrage est
très intéressant et permet d’en savoir plus sur cette question, que l’on soit
néophyte ou connaisseur en la matière.