vendredi 27 février 2015

Compte rendu d’ouvrage : Paulès, Xavier. L’opium: une passion chinoise, 1750-1950. Paris: Payot, 2011

Delaspre Jean Manuel


Compte rendu d’ouvrage : Paulès, Xavier. L’opium: une passion chinoise, 1750-1950. Paris: Payot, 2011 :


      L’ouvrage dont nous nous proposons de faire la synthèse a été écrit par Xavier Paulès, maître de conférences à l’EHESS et membre du Centre d’études sur la Chine moderne et contemporaine. Ses recherches, qui ont donné lieu à plusieurs ouvrages, ont pour principaux thèmes l’histoire urbaine de la Chine contemporaine, l’histoire des jeux de hasard et l’histoire de l’opium, sujet principal de l’ouvrage dont il est question ici.
Pour mener à bien ses recherches sur cette question de la présence de l’opium en Chine sur la période 1750-1950, l’auteur s’appuie sur un nombre de sources important et varié, ainsi que sur une dense bibliographie : on peut mentionner à titre d’exemple des archives de l’Etat britannique, des revues et des journaux, des témoignages d’Occidentaux sur la Chine, les wenshi ziliao… Tous ces éléments donnent un éclairage varié sur la présence et l’influence de l’opium en Chine durant la période considérée et donne à voir différents points de vue sur cette drogue.

           Dans cet ouvrage, Xavier Paulès cherche à rendre compte de l’histoire de l’opium en Chine sur la période 1750-1950 d’une manière originale. De fait, il la traite sous un angle novateur, à travers la question suivante, qui est le fil conducteur de l’ouvrage : pourquoi l’opium a conquis de manière foudroyante une place prépondérante en Chine à partir de 1750 et surtout au XIXème siècle, au point que dans l’imaginaire collectif cette drogue a été associée aux chinois, alors qu’en réalité l’opium est une drogue étrangère (l’opium arrive en Chine en provenance d’Inde via des compagnies anglaises), pour ensuite perdre tout aussi rapidement son importance et son emprise dans la société chinoise en étant définitivement éradiqué par Mao et son régime dans les années 1950 ? Pour répondre à cette question, l’historien utilise 6 biais différents, matérialisés par 6 chapitres, pour rendre compte du fait que l’histoire de l’opium a de multiples facettes, et il s’écarte des positions trop tranchées de certains historiens occidentaux comme chinois pour montrer que le rôle, l’influence et les traces laissés par cette drogue sont bien plus ambiguës qu’on ne le croit. Mais surtout, et c’est là un point fondamental, son analyse se focalise avant tout sur la consommation de l’opium par la population durant sa présence en Chine. Ainsi, le thème de la consommation de l’opium apparaît comme toile de fond tout au long de l’ouvrage de Xavier Paulès, et c’est ce que reflète le titre de son œuvre.
Loin de voir simplement l’opium comme un instrument de l’impérialisme ou bien un fléau qui a été finalement éradiqué, l’auteur cherche à montrer que l’histoire de l’opium est bien plus complexe que cela, et qu’à partir de son histoire, c’est l’histoire globale de l’entrée de la Chine dans la modernité qui peut être invoquée à travers les relations de la Chine avec les autres puissances, mais aussi les différents régimes et leurs politiques vis-à-vis de l’opium, ainsi que l’empreinte économique que cette dernière a laissé, et enfin à travers la vision évolutive qu’ont les chinois eux-mêmes de l’opium et de sa consommation.

     Pour argumenter son propos, l’auteur a divisé son ouvrage en 6 chapitres distincts mais se recoupant toutefois, afin d’essayer de rendre compte le plus exhaustivement possible des différentes implications de l’opium en Chine. L’auteur se concentre en premier lieu sur la présentation de l’opium même, de sa préparation à sa consommation, afin d’entrer directement dans le vif du sujet, puis il élargit son propos et focalise successivement son attention sur l’opium et les relations extérieures, l’impact macroéconomique de l’opium, les enjeux politiques de celui-ci, avant de se consacrer plus clairement à sa consommation à travers l’identification des fumeurs et les lieux de consommation. L’auteur démontre ainsi que l’opium, s’il a eu des coûts, et notamment humain, a aussi contribué, après son affaiblissement, au renforcement de l’Etat qui a fait de la lutte contre l’opium son cheval de bataille, et qui a bénéficié des recettes fiscales liées à celle-ci., ainsi qu’à l’émergence d’une société civile hostile à l’opium. Au niveau économique, l’auteur met en évidence le fait que l’opium a aussi permis le désenclavement de régions isolés. Enfin, au niveau social, il met en lumière le fait que derrière l’image très négative donnée aux fumeurs d’opium et une tendance de fond à la baisse de la consommation, cette drogue s’est révélée être pour beaucoup d’individus un soulagement dans leur vie quotidienne, prenant ainsi la forme d’une distraction.


     Pour conclure, on peut dire que l’ouvrage est agréable à lire, le style est plutôt fluide, et l’auteur s’appuie sur un nombre de sources et une bibliographie très fournis. Surtout l’auteur adopte un point de vue original sur cette question à travers l’angle de la consommation, qui permet d’expliquer des phénomènes bien plus larges. Le seul bémol apparent est que le propos est parfois trop dense, et l’on se perd un peu dans les détails, mais dans l’ensemble l’ouvrage est très intéressant et permet d’en savoir plus sur cette question, que l’on soit néophyte ou connaisseur en la matière.