LES
MUSULMANS D’ASIE DE SUD-EST FACE AU VERTIGE DE LA RADICALISATION
Les Musulmans d’Asie de Sud-Est face au
vertige de la radicalisation est un ouvrage paru en 2003 aux éditions Les
Indes savantes et s’appuyant sur les recherches de dix-sept chercheurs. Il est
dirigé par Stéphane Dovert, docteur en science politique et directeur de
l’Institut de recherche sur l’Asie du Sud-Est contemporaine, et Remy Madinier,
docteur en histoire et chercheur en CNRS où il est spécialiste des relations
islamo-chrétiennes dans le monde Malais.
Les
auteurs décrivent les groupes fondamentalistes religieux aux motivations variées, les
réseaux terroristes et les gouvernements de la région en les
replaçant dans leur contexte historique et géopolitique. Ils cherchent à
analyser, avec justesse, les situations diverses, peu connues en occident, des
cinq pays de la région regroupement près d’un tiers des musulmans de la planète :
La Malaisie, l’Indonésie, la Thaïlande, le Cambodge, la Birmanie et les
Philippines. L’ouvrage est divisé en deux parties qui regroupent des pays
suivant la part de musulmans dans la population. On a ainsi d’une part la
Malaisie et l’Indonésie où la population est majoritairement musulmane et
d’autre part le Cambodge, la Birmanie et les Philippines où ils sont
minoritaires.
Première
partie : « Le complexe obsidional de l’islam majoritaire ». Obsidional
se définit comme le fait de se sentir pathologiquement persécuté ou assiégé.
- La
Malaisie est selon les auteurs « le pays de la région au sein duquel la
dimension religieuse est la plus lourde d’enjeux politiques et institutionnels »
en effet à la construction de l’Etat-nation malaisien l’identité malaisienne et
musulmane sont liées. Jusqu’à la fin des années 1960 la Malaisie avait la
particularité de fonctionner sur un compromis, la domination politique pour les
Malais et la domination économique pour les sino-malais (Singapour). Cependant
cet équilibre prend fin avec l’expulsion de Singapour de la fédération en 1965
et les émeutes interethniques de 1969. Après ces émeutes le gouvernement met en
place une discrimination positive en faveur des Malais qui s’accompagne par un
puissant retour de l’islam malais. Trois organisations hétérogènes accompagnent
ce renouveau : Darul Arqam (secte musulmane), ABIM (Mouvement de la
jeunesse malaise) et PAS (Parti Islamique Panmalais) et entretiennent des
relations d’alliance, pour certains, à certains moments, ou de défiance à l’égard
du gouvernement. Face à cette montée de l’Islam le gouvernement répond en
accompagnant et encourageant la progression de l’Islam dans la société pour
éviter les dérives. Il crée, par exemple, une université islamique, il subventionne
les écoles religieuses. Dans le même temps il pratique avec les trois
organisations un subtil jeu d’alliance et de répression. Cette politique a
montré ces limites dans l’après 11 Septembre avec de nombreuses écoles enseignant un discours très rigoriste et hostile à l’occident.
- En
Indonésie, le premier pays musulmans du monde, les auteurs démontrent que
l’Islam radical c’est développé via plusieurs canaux. Tout d’abord via un
sentiment de frustration et de peur apparu après la chute Soekarno (1966)
lorsque le parti islamique musulman pro-parlementariste fut évincé du pouvoir
par l’Ordre Nouveau alors qu’il avait luté pour la fin du régime. Ce sentiment de
frustration s’accompagne de la peur de voir une progression des chrétiens, du
fait des actions pro-chrétienne du nouveau gouvernement, et d’une jalousie de
la communauté chinoise. Certains musulmans se sentant politiquement exclus,
socialement et religieusement menacés se tournent vers un islam radical.
Ensuite l’implantation en Indonésie d’organisations islamiques internationales
et d’écoles coraniques (pour jeunes déshérités) en liens avec les mouvements
wahhabites contribuent à la radicalisation d’une partie de la société. Depuis
la chute de Soekarno l’Indonésie est un lieu de radicalisation et de tensions
inter-religieuses, parfois sanglantes, le défit du gouvernement actuel est de
proposer un islam libéral fort pour lutter contre le radicalisme.
La
deuxième partie concerne les pays où l’islam est minoritaire :
- En
Thaïlande, pays majoritairement bouddhiste, l’Islam radical s’est développé par
deux courants. D’abord dans le sud du pays près de la Malaisie avec le
mouvement PULO (Pantani United Liberation Organization) un mouvement indépendantiste
et communautariste qui a pris fin en 1970 mais dont la région est aujourd’hui
un lieu de rencontre de fondamentalistes. Ensuite du fait de l’exode rural des
régions du sud vers Bangkok une frange de la population s’est tournée vers
l’islam radical. Pour maîtriser la radicalisation le gouvernement thaïlandais
intègre des musulmans et encourage les politiques communautaristes avec
cependant le risque de dislocation de l’unité nationale.
- Le Cambodge, pays où le bouddhisme est religion d’état et environ 4% de la population est musulmane, est présenté comme un pays ayant su trouver un équilibre social. Cependant lors de la période khmère rouge la communauté cham musulmanes ainsi que son identité et ses traditions furent décimées. Il se pose aujourd’hui la question du rôle des missionnaires étrangers, notamment wahhabites, dans l’introduction d’un islam qui se veut pure. Ce rôle se caractérise dans les faits par l’arrivée de missionnaires étrangers (pays du golfe, Soudan) et le rôle de la RIH (Revival of Islamic Heritage Society) une organisation prosélyte koweïtienne.
- Le Cambodge, pays où le bouddhisme est religion d’état et environ 4% de la population est musulmane, est présenté comme un pays ayant su trouver un équilibre social. Cependant lors de la période khmère rouge la communauté cham musulmanes ainsi que son identité et ses traditions furent décimées. Il se pose aujourd’hui la question du rôle des missionnaires étrangers, notamment wahhabites, dans l’introduction d’un islam qui se veut pure. Ce rôle se caractérise dans les faits par l’arrivée de missionnaires étrangers (pays du golfe, Soudan) et le rôle de la RIH (Revival of Islamic Heritage Society) une organisation prosélyte koweïtienne.
- La
Birmanie est le pays de la région où la communauté musulmane est
persécutée. Dans ce pays la minorité Rohingya
situé en Arkan près de la frontière avec le Bengladesh est opprimée et
poussée à l’exil. Le gouvernement leur refuse le droit de citoyenneté, ils sont
exclus de la vie économique et des politiques d’acculturation sont mises en place.
Cette politique menée par la junte militaire pousse à la création de groupes
indépendantistes islamistes.
-
Aux Philippines la revendication islamique prend ses origines dans années 1970
et du transfert massif de populations catholiques vers les îles du sud
majoritairement musulmanes et, où, les autorités pratiquèrent des politiques
très favorables aux colons venus du nord paupérisant les musulmans. Les groupes
islamiques de lutte comme le MIM (Muslim Independant Movment) débutent à ce
moment. Ces groupes ont créé une identité artificielle moro censée représenter tous les musulmans de la région pourtant de
culture hétérogène afin d’internationaliser le problème des musulmans
philippins. Par ailleurs l’armée joue un rôle très ambigu, elle est suspectée
d’armer ces mouvements indépendantistes afin de justifier sa présence dans la
région.
L’ouvrage
dirigé par Stéphane Dovert et Rémy Madinier est très intéressant puisqu’il cherche
à offrir une vision claire, détaillée et rigoureuse de la situation de l’islam
radical dans des pays hétérogènes mal connus en occident et souvent considérés
comme équivalents. Leur choix méthodologique de remonter, pour chaque pays, à
l’histoire des mouvements et des établissements des diverses populations permet
une bonne compréhension des phénomènes. Leur but de permettre « la compréhension du phénomène d’islam radical en Asie du Sud-Est » est
atteint.
L’ouvrage
datant de 2003 il est sans doute nécessaire d’actualiser certaines informations
mais cela ne change pas la compréhension générale de l’ouvrage et des
situations qu’il décrit.