mercredi 25 février 2015

LES MUSULMANS D’ASIE DE SUD-EST FACE AU VERTIGE DE LA RADICALISATION


Les Musulmans d’Asie de Sud-Est face au vertige de la radicalisation est un ouvrage paru en 2003 aux éditions Les Indes savantes et s’appuyant sur les recherches de dix-sept chercheurs. Il est dirigé par Stéphane Dovert, docteur en science politique et directeur de l’Institut de recherche sur l’Asie du Sud-Est contemporaine, et Remy Madinier, docteur en histoire et chercheur en CNRS où il est spécialiste des relations islamo-chrétiennes dans le monde Malais.
Les auteurs décrivent les groupes fondamentalistes religieux aux motivations variées, les réseaux terroristes et les gouvernements de la région en les replaçant dans leur contexte historique et géopolitique. Ils cherchent à analyser, avec justesse, les situations diverses, peu connues en occident, des cinq pays de la région regroupement près d’un tiers des musulmans de la planète : La Malaisie, l’Indonésie, la Thaïlande, le Cambodge, la Birmanie et les Philippines. L’ouvrage est divisé en deux parties qui regroupent des pays suivant la part de musulmans dans la population. On a ainsi d’une part la Malaisie et l’Indonésie où la population est majoritairement musulmane et d’autre part le Cambodge, la Birmanie et les Philippines où ils sont minoritaires.

Première partie : « Le complexe obsidional de l’islam majoritaire ». Obsidional se définit comme le fait de se sentir pathologiquement persécuté ou assiégé.

- La Malaisie est selon les auteurs « le pays de la région au sein duquel la dimension religieuse est la plus lourde d’enjeux politiques et institutionnels » en effet à la construction de l’Etat-nation malaisien l’identité malaisienne et musulmane sont liées. Jusqu’à la fin des années 1960 la Malaisie avait la particularité de fonctionner sur un compromis, la domination politique pour les Malais et la domination économique pour les sino-malais (Singapour). Cependant cet équilibre prend fin avec l’expulsion de Singapour de la fédération en 1965 et les émeutes interethniques de 1969. Après ces émeutes le gouvernement met en place une discrimination positive en faveur des Malais qui s’accompagne par un puissant retour de l’islam malais. Trois organisations hétérogènes accompagnent ce renouveau : Darul Arqam (secte musulmane), ABIM (Mouvement de la jeunesse malaise) et PAS (Parti Islamique Panmalais) et entretiennent des relations d’alliance, pour certains, à certains moments, ou de défiance à l’égard du gouvernement. Face à cette montée de l’Islam le gouvernement répond en accompagnant et encourageant la progression de l’Islam dans la société pour éviter les dérives. Il crée, par exemple, une université islamique, il subventionne les écoles religieuses. Dans le même temps il pratique avec les trois organisations un subtil jeu d’alliance et de répression. Cette politique a montré ces limites dans l’après 11 Septembre avec de nombreuses écoles enseignant un discours très rigoriste et hostile à l’occident.

- En Indonésie, le premier pays musulmans du monde, les auteurs démontrent que l’Islam radical c’est développé via plusieurs canaux. Tout d’abord via un sentiment de frustration et de peur apparu après la chute Soekarno (1966) lorsque le parti islamique musulman pro-parlementariste fut évincé du pouvoir par l’Ordre Nouveau alors qu’il avait luté pour la fin du régime. Ce sentiment de frustration s’accompagne de la peur de voir une progression des chrétiens, du fait des actions pro-chrétienne du nouveau gouvernement, et d’une jalousie de la communauté chinoise. Certains musulmans se sentant politiquement exclus, socialement et religieusement menacés se tournent vers un islam radical. Ensuite l’implantation en Indonésie d’organisations islamiques internationales et d’écoles coraniques (pour jeunes déshérités) en liens avec les mouvements wahhabites contribuent à la radicalisation d’une partie de la société. Depuis la chute de Soekarno l’Indonésie est un lieu de radicalisation et de tensions inter-religieuses, parfois sanglantes, le défit du gouvernement actuel est de proposer un islam libéral fort pour lutter contre le radicalisme.

La deuxième partie concerne les pays où l’islam est minoritaire :

- En Thaïlande, pays majoritairement bouddhiste, l’Islam radical s’est développé par deux courants. D’abord dans le sud du pays près de la Malaisie avec le mouvement PULO (Pantani United Liberation Organization) un mouvement indépendantiste et communautariste qui a pris fin en 1970 mais dont la région est aujourd’hui un lieu de rencontre de fondamentalistes. Ensuite du fait de l’exode rural des régions du sud vers Bangkok une frange de la population s’est tournée vers l’islam radical. Pour maîtriser la radicalisation le gouvernement thaïlandais intègre des musulmans et encourage les politiques communautaristes avec cependant le risque de dislocation de l’unité nationale.

- Le Cambodge, pays où le bouddhisme est religion d’état et environ 4% de la population est musulmane, est présenté comme un pays ayant su trouver un équilibre social. Cependant lors de la période khmère rouge la communauté cham musulmanes ainsi que son identité et ses traditions furent décimées. Il se pose aujourd’hui la question du rôle des missionnaires étrangers, notamment wahhabites, dans l’introduction d’un islam qui se veut pure. Ce rôle se caractérise dans les faits par l’arrivée de missionnaires étrangers (pays du golfe, Soudan) et le rôle de la RIH (Revival of Islamic Heritage Society) une organisation prosélyte koweïtienne.

- La Birmanie est le pays de la région où la communauté musulmane est persécutée. Dans ce pays la minorité Rohingya situé en Arkan près de la frontière avec le Bengladesh est opprimée et poussée à l’exil. Le gouvernement leur refuse le droit de citoyenneté, ils sont exclus de la vie économique et des politiques d’acculturation sont mises en place. Cette politique menée par la junte militaire pousse à la création de groupes indépendantistes islamistes.

- Aux Philippines la revendication islamique prend ses origines dans années 1970 et du transfert massif de populations catholiques vers les îles du sud majoritairement musulmanes et, où, les autorités pratiquèrent des politiques très favorables aux colons venus du nord paupérisant les musulmans. Les groupes islamiques de lutte comme le MIM (Muslim Independant Movment) débutent à ce moment. Ces groupes ont créé une identité artificielle moro censée représenter tous les musulmans de la région pourtant de culture hétérogène afin d’internationaliser le problème des musulmans philippins. Par ailleurs l’armée joue un rôle très ambigu, elle est suspectée d’armer ces mouvements indépendantistes afin de justifier sa présence dans la région.

L’ouvrage dirigé par Stéphane Dovert et Rémy Madinier est très intéressant puisqu’il cherche à offrir une vision claire, détaillée et rigoureuse de la situation de l’islam radical dans des pays hétérogènes mal connus en occident et souvent considérés comme équivalents. Leur choix méthodologique de remonter, pour chaque pays, à l’histoire des mouvements et des établissements des diverses populations permet une bonne compréhension des phénomènes. Leur but de permettre « la compréhension du phénomène d’islam radical en Asie du Sud-Est » est atteint.
L’ouvrage datant de 2003 il est sans doute nécessaire d’actualiser certaines informations mais cela ne change pas la compréhension générale de l’ouvrage et des situations qu’il décrit.


Pierre Coing