L’ouvrage Belles de
Shanghai a été écrit en 1997 par Christian Henriot, professeur d’histoire
contemporaine et spécialiste de l’histoire sociale et urbaine de la Chine ainsi
que du conflit sino-japonais. Il
est par ailleurs l’auteur de Atlas de
Shanghai : Espace et représentations de 1849 à nos jours (1999), In the Shadow of the Rising Sun. Shanghai
under Japanese Occupation (2004) ou encore de Images in History : Pictures and Public Space in Modern China
(2012).
C. Henriot fait le choix d’une approche historique et
monographique de la prostitution et l’utilise pour refléter les changements et
les évolutions de Shanghai. A travers la prostitution des femmes chinoises à
Shanghai l’auteur tente de mettre en lumière les différents aspects sociaux,
économiques, politiques et culturels qui sont spécifiques de l’époque.
Dans un premier temps, l’auteur s’intéresse au champ propre à
la prostitution (les formes d’activités, les hiérarchies, les interactions
entre acteurs et les passerelles). Il retrace trois niveaux de la
prostitution : premièrement on retrouve les « classes »
supérieurs, ensuite, les courtisanes et pour finir, les prostituées populaires.
Ces dernières ne sont pas des prostituées professionnelles mais du fait de leur
proximité avec les hommes durant leur travail, elles se dirigent vers la
prostitution. A travers cela, l’auteur analyse les différentes trajectoires
sociales, activités, relations avec les clients, origines géographiques ainsi
que les conditions de vie, afin de rendre compte du profil des prostituées.
Dans un deuxième temps, l’auteur analyse les différentes
évolutions quantitatives, géographiques et les perceptions de la société face à
la prostitution. Les prostituées étaient, en premier lieu, recherchées pour « [leur] talent artistique, leur
vivacité d’esprit [...] une gratification sexuelle » (p. 387). Elles
étaient admirées et respectées, cependant, un changement des élites lettrées
aux élites bureaucrates, experts en sciences sociales, militants
abolitionnistes etc. a changé les prostituées en de banals objets sexuels. Après
1918, on peut observer une augmentation du nombre de prostituées et un
élargissement des maisons closes dans la ville. De plus en plus d’institutions
qui n’avaient pas vocation à la prostitution (salons de massages) développent une
participation active dans ce domaine. Pour l’auteur, ce qui est à l’origine de
cette évolution sont les « nouveaux
modes de commercialisation du sexe » (p. 388). En effet, on observe
qu’il y a une forte mobilité des prostituées qui est mis en place par un
trafique important. La société était positive par rapport aux prostituées : malgré
le fait que la prostitution ne soit pas souhaitée il y avait tout de même de
plus en plus de mariages entre les hommes et des prostituées. Pour l’auteur,
cela montre une certaine tolérance de la part de la société à une certaine
époque. Cependant, avec l’augmentation des prostituées et le changement d’élites,
on observe que la tolérance s’estompe. La prostitution devient alors dans les
années vingt un problème social car elle engendre des maladies, de la
pauvreté etc. Ce changement de vision n’est pas entièrement radical mais reflète l’indifférence
de la population chinoise face aux mesures entreprises pour diminuer la
prostitution. Il faut savoir qu’à cette époque Shanghai est divisé en trois
territoires (concession française, concession internationale et
municipalité chinoise) et que les directions prises pour lutter contre la
prostitution émanent des étrangers, ce qui explique la non coopération des
chinois.
Dans un troisième temps, l’auteur s’intéresse à la sphère
publique chinoise. Au XIXème siècle, celle-ci est séparée par deux espaces
féminins : les femmes épousées et les prostituées. Cette organisation de la
société met en avant que la femme n’a aucune légitimité sociale en dehors de la
famille et du mariage. L’auteur souligne que la modernisation et l’élévation
du niveau de vie ont entraîné l’ouverture des écoles aux filles, le recrutement
d’ouvrières etc. les femmes participent ainsi de plus en plus à l’activité économique.
Ce changement aurait eu pour effet la réduction de la prostitution à un échange
purement économique. La prostitution reflète alors à l’époque la précarité de
la femme et cache un trafique de femmes et de l’esclavagisme : elles sont
réduites à des objets de marchandises, sont louées, vendus etc. Et la prostitution
constitue dans ce trafique la branche principale.
Les différents gouvernements (empire, république) n’ont pas
réussie à arrêter ce trafique, faute de moyens et de volonté. En effet,
l’auteur, met en avant que la prostitution n’a jamais été considérée comme un
problème social important pour les autorités. Elles se sont intéressées au problème
cependant uniquement pour encadrer et contrôler la prostitution et non pour y
mettre fin. Jl. Rocca[1]
met d’ailleurs en avant que la prostitution en Chine est encadrée par la
police.
L’auteur conclu sur le fait que la prostitution reflète une
culture qui place la femme à un niveau de subordination. Elle a un statu
inférieur à l’homme qui n’évolue pas malgré le développement et la
modernisation de la société chinoise. Ainsi, à travers une approche historique
et monographique de la prostitution, l’auteur a réussie à rendre compte des
dynamiques sociales de l’époque, notamment concernant la place de la femme en
Chine.
Pellegrino Anaïs