dimanche 22 février 2015

Compte rendu d’ouvrage : Belles de Shanghai, prostitution et sexualité en Chine aux XIXème et XXème Siècles


L’ouvrage Belles de Shanghai a été écrit en 1997 par Christian Henriot, professeur d’histoire contemporaine et spécialiste de l’histoire sociale et urbaine de la Chine ainsi que du conflit sino-japonais. Il est par ailleurs l’auteur de Atlas de Shanghai : Espace et représentations de 1849 à nos jours (1999), In the Shadow of the Rising Sun. Shanghai under Japanese Occupation (2004) ou encore de Images in History : Pictures and Public Space in Modern China (2012).

C. Henriot fait le choix d’une approche historique et monographique de la prostitution et l’utilise pour refléter les changements et les évolutions de Shanghai. A travers la prostitution des femmes chinoises à Shanghai l’auteur tente de mettre en lumière les différents aspects sociaux, économiques, politiques et culturels qui sont spécifiques de l’époque.

Dans un premier temps, l’auteur s’intéresse au champ propre à la prostitution (les formes d’activités, les hiérarchies, les interactions entre acteurs et les passerelles). Il retrace trois niveaux de la prostitution : premièrement on retrouve les « classes » supérieurs, ensuite, les courtisanes et pour finir, les prostituées populaires. Ces dernières ne sont pas des prostituées professionnelles mais du fait de leur proximité avec les hommes durant leur travail, elles se dirigent vers la prostitution. A travers cela, l’auteur analyse les différentes trajectoires sociales, activités, relations avec les clients, origines géographiques ainsi que les conditions de vie, afin de rendre compte du profil des prostituées.  

Dans un deuxième temps, l’auteur analyse les différentes évolutions quantitatives, géographiques et les perceptions de la société face à la prostitution. Les prostituées étaient, en premier lieu, recherchées pour « [leur] talent artistique, leur vivacité d’esprit [...] une gratification sexuelle » (p. 387). Elles étaient admirées et respectées, cependant, un changement des élites lettrées aux élites bureaucrates, experts en sciences sociales, militants abolitionnistes etc. a changé les prostituées en de banals objets sexuels. Après 1918, on peut observer une augmentation du nombre de prostituées et un élargissement des maisons closes dans la ville. De plus en plus d’institutions qui n’avaient pas vocation à la prostitution (salons de massages) développent une participation active dans ce domaine. Pour l’auteur, ce qui est à l’origine de cette évolution sont les « nouveaux modes de commercialisation du sexe » (p. 388). En effet, on observe qu’il y a une forte mobilité des prostituées qui est mis en place par un trafique important. La société était positive par rapport aux prostituées : malgré le fait que la prostitution ne soit pas souhaitée il y avait tout de même de plus en plus de mariages entre les hommes et des prostituées. Pour l’auteur, cela montre une certaine tolérance de la part de la société à une certaine époque. Cependant, avec l’augmentation des prostituées et le changement d’élites, on observe que la tolérance s’estompe. La prostitution devient alors dans les années vingt un problème social car elle engendre des maladies, de la pauvreté etc. Ce changement de vision n’est pas entièrement radical mais reflète l’indifférence de la population chinoise face aux mesures entreprises pour diminuer la prostitution. Il faut savoir qu’à cette époque Shanghai est divisé en trois territoires (concession française, concession internationale et municipalité chinoise) et que les directions prises pour lutter contre la prostitution émanent des étrangers, ce qui explique la non coopération des chinois.

Dans un troisième temps, l’auteur s’intéresse à la sphère publique chinoise. Au XIXème siècle, celle-ci est séparée par deux espaces féminins : les femmes épousées et les prostituées. Cette organisation de la société met en avant que la femme n’a aucune légitimité sociale en dehors de la famille et du mariage. L’auteur souligne que la modernisation et l’élévation du niveau de vie ont entraîné l’ouverture des écoles aux filles, le recrutement d’ouvrières etc. les femmes participent ainsi de plus en plus à l’activité économique. Ce changement aurait eu pour effet la réduction de la prostitution à un échange purement économique. La prostitution reflète alors à l’époque la précarité de la femme et cache un trafique de femmes et de l’esclavagisme : elles sont réduites à des objets de marchandises, sont louées, vendus etc. Et la prostitution constitue dans ce trafique la branche principale.

Les différents gouvernements (empire, république) n’ont pas réussie à arrêter ce trafique, faute de moyens et de volonté. En effet, l’auteur, met en avant que la prostitution n’a jamais été considérée comme un problème social important pour les autorités. Elles se sont intéressées au problème cependant uniquement pour encadrer et contrôler la prostitution et non pour y mettre fin. Jl. Rocca[1] met d’ailleurs en avant que la prostitution en Chine est encadrée par la police.

L’auteur conclu sur le fait que la prostitution reflète une culture qui place la femme à un niveau de subordination. Elle a un statu inférieur à l’homme qui n’évolue pas malgré le développement et la modernisation de la société chinoise. Ainsi, à travers une approche historique et monographique de la prostitution, l’auteur a réussie à rendre compte des dynamiques sociales de l’époque, notamment concernant la place de la femme en Chine.

Pellegrino Anaïs


[1] JL. Rocca, La corruption, Syros, Paris, 1994