Stéphane Dovert est docteur en science politique
et dirige à Bangkok l’Institut de recherche sur l’Asie du Sud-Est
contemporaine. Rémy Madinier est docteur en histoire, chercheur au CNRS, et
spécialiste des questions sur l’islam en Indonésie.
Les auteurs présentent cet ouvrage comme le
« fruit d’une enquête collective ». Ils se sont appuyés sur les
observations fournies par des spécialistes de chaque pays concerné.
Dans cet ouvrage, ils s’efforcent de comprendre
les causes de la radicalisation, replaçant chaque élément dans son contexte
géographique et historique afin de mieux en saisir les enjeux. Ils proposent
d’aller au-delà de la vision (simpliste) occidentale du radicalisme religieux. Ils analysent les unes après les autres, les situations
spécifiques de la Malaisie, de l’Indonésie, de la Thaïlande, du Cambodge, de la
Birmanie, et des Philippines.
Dès l’introduction, ils précisent
la complexité d’une telle problématique. La réalité est celle d’une extrême diversité des
situations nationales dans une région qui compte près de 250 millions de
musulmans.
Dans une première partie, il est question de la Malaisie et
de l’Indonésie, où l’islam est majoritaire.
Le jeu politique des Gouvernements, le rôle des organisations
islamiques, l’influence des pays du Golfe, les inégalités ou la pression
internationale (lutte contre le terrorisme) sont autant de problématiques liées
à la radicalisation des musulmans.
Les mouvements radicaux se servent notamment des inégalités (économiques,
religieuses…) pour mener à un mouvement de repli favorable à la radicalisation
et s’appuient sur les écoles religieuses privées pour diffuser leurs idées. Ils
apparaissent comme un système alternatif et s’imposent sur la scène publique. Quant
au jeu politique des Gouvernements, s’il était bien de lutter contre une
éventuelle radicalisation, il est un échec. L’Etat malaisien en ‘’soutenant’’
le renouveau de l’islam avec « une politique mêlant répression,
manipulation et encouragement » a servi à la radicalisation[1].
En Indonésie, la manipulation des services secrets indonésiens et la répression
sous l’Ordre nouveau, puis le jeu trouble d’une partie de l’armée après la
chute de l’Ordre nouveau conduisirent à radicaliser une partie du courant
moderniste. Après les attentats du 11 septembre 2001, Malaisie et Indonésie se
sont rangées, non sans opportunisme, derrière les Etats-Unis dans leur lutte
contre le terrorisme international. Ce positionnement, dans une région qui
rejette l’impérialisme américain, pèse en faveur de la radicalisation.
L’enjeu dans ces pays se situe dans la capacité
des autorités à favoriser la diffusion d’un islam modéré.
Dans les pays où l’islam est minoritaire, le prosélytisme
islamiste se rallie à la cause des minorités musulmanes (Thaïlande), recrée un
lien social et des solidarités suite à une guerre civile (Cambodge), prend la
défense des opprimés (Birmanie).
En Thaïlande, les minorités musulmanes, face à la légitimité
bouddhiste, revendiquent un islam politique communautariste auquel le pouvoir
central a répondu par une politique favorable au communautarisme, dangereuse
pour l’unité nationale.
Au Cambodge, des missionnaires
fondamentalistes promeuvent un « islam originel ». Les dirigeants communaux
tentent d’échapper à ce prosélytisme caritatif qui séduit les cham. Même si les
auteurs notent une « résistance culturelle » des cham, il ne faut pas
pour autant, nous expliquent-ils, nier l’influence de ces prêcheurs dans une
société aux inégalités croissantes.
Depuis les années 1990, les musulmans birmans
sont victimes d’une persécution ethnique et religieuse. La politique
d’exclusion des musulmans favorise la radicalisation, dans un contexte de
révoltes, dissensions et misère sociale. Les auteurs s’inquiètent de la
conséquence des attentats du 11 septembre, qui pourraient servir à l’armée
birmane pour présenter les musulmans comme des « nouveaux ennemis ».
Enfin, l’islam philippin illustre dans le sud de l’archipel
un processus d’identification d’un mouvement nationaliste, moro, avec l’islam. Les
auteurs soulignent, au début des années 2000, l’instabilité de la situation,
« très complexe et potentiellement explosive ».
En conclusion, les auteurs s’intéressent
plus longuement à la Jemmah Islamiyah, seul véritable réseau transnational de
la région. Les actions de ce réseau (attentats de Bali…) ont fait apparaître la
possibilité d’un Etat islamique. Mais malgré
des solidarités régionales transfrontalières, les organisations islamiques radicales
ayant des objectifs purement nationaux, il n’y a pas de « cause islamiste
sud-est asiatique en tant que thème unificateur susceptible de mobiliser les
masses autour d’un projet commun ». D’après les auteurs, les preuves que la
Jemaah Islamiyah serait liée à al-Quaeda sont quasi inexistantes mais le
rôle de cette dernière semble néanmoins marginal en Asie du Sud-Est.
Les musulmans radicaux de l’Asie du Sud-Est surgissent dans
l’actualité à l’occasion d’attentats, d’enlèvements, de rebellions mais ces
réseaux demeurent obscurs. Sans réussir à véritablement lever le mystère, les
auteurs constatent des situations nationales et en expliquent les causes et
enjeux. Le lecteur peut ainsi comprendre la variété des causes de
radicalisation face à un radicalisme polymorphe qui s’adapte et la difficile
réponse à cette problématique. L’analyse pays par pays proposée permet une
certaine clarté. Toutefois, on peut reprocher aux auteurs une certaine
complexité dans la description des organisations islamiques, notamment pour un
lecteur non initié.
[1] Par
exemple, en légitimant le PAS (Parti islamique panmalais), organisation
islamique rigoriste.