Compte rendu d’ouvrage
Romain Bertrand
« Indonésie, la démocratie invisible. Violence, magie et politique à
Java ». Edition Kathala, 2002
Romain Bertrand est un politologue, chargé de recherche à la
Fondation nationale des sciences politiques, Centre d'études et de recherches
internationales (en 2002) et spécialiste de l’Indonésie.
Dans l’ouvrage en question l’auteur explique la transition
démocratique qui accompagne le pays de
l'Indonésie et plus spécialement les violences qui ont accompagné cette
transition. C'est un ouvrage composé de six chapitres avec deux parties. Dans
la première partie, le livre parle des croyances populaires (Singe blanc,
Thuyul…) et leurs influences, tandis que
la seconde partie concerne essentiellement les pratiques des dirigeants de
Suharto à Megawati. Parmi ces pratiques il y a le semadi, pèlerinages sur les
tombes, œuvres charitables ou pieuses, etc. En outre, ces dirigeants font appel
a leurs conseillers spirituels pour se concilier les faveurs des puissances
occultes qui s'affrontent dans le domaine invisible.
Romain Bertrand dans son ouvrage propose d'une part l'image
d'harmonie que la société javanaise entend donner d'elle-même en mettant de
côté les explications politologiques habituelles reliant la violence aux
conditions économiques et sociales ou encore à des facteurs religieux ou ethniques. D'une autre part, il relie la
modernité démocratique à des croyances occultes. Donc, l'ouvrage porte sur deux
idées , d'un côté il porte sur la relation des violences collectives
caractérisant la Java et la magie et de l'autre côté la relation de cette
dernière à la démocratie.
Le premier thème permet de relier les violences collectives
avec les croyances occultes et le sentiment d'être en insécurité spirituelle.
Le second thème du livre affirme que la magie n'est nullement en contradiction
avec la modernité démocratique. Donc, le sous-titre du livre ("violence,
magie et politique") montre le rapport que ces trois éléments
entretiennent dans la société javanaise.
Le politologue Romain Bertrand se focalise exclusivement sur
le rapport de la violence avec la sorcellerie et même si des multiples formes
de violences ont été présentes dans l'Indonésie au tournant du siècle. Les
individus accusés de magie noire sont des individus coupables par leurs
attitudes (arrogance, brusque enrichissement, manque d'intégration sociale) de
léser la communauté. Donc, l'auteur montre que la violence se présente à
elle-même comme une réaction légitime à une menace d'ordre surnaturel.
Toutefois, il n'apparaît pas toujours nécessaire de se
référer à la magie. Dans de nombreux cas, la spontanéité des violences
collectives n'est qu'apparente. L'orchestration de la rumeur permet d'inciter
les foules au crime et de transformer les agresseurs en justiciers répondant
d'avance à la violence qu'ils redoutent de leurs futures victimes.
L’auteur fait une distinction de la foule et du peuple qui pose
la question de la démocratie. Le peuple se distingue en effet de la foule par
son organisation. La foule reçoit son unité de l'extérieur, du leader
charismatique qui la fascine, le peuple de l'intérieur, d'une commune visée de
l'intérêt général. Parler de «démocratie invisible » ne revient pas, pour
Romain Bertrand, à rappeler comment la démocratie parlementaire n'a jamais
réussi à s'imposer dans l'archipel, face aux différents modèles de pouvoir
autoritaire.
Romain Bertrand, considère que le domaine des croyances au
monde invisible constitue un code commun que partagent les élites gouvernantes
et le peuple auquel elles ont à rendre des comptes.
Le fait de recourir aux conseillers occultes, quel que soit
leur registre (magiciens, experts, techniciens, membres des services secrets,
conseillers en communication) va cependant encadrer la représentativité démocratique du pouvoir.
En outre ce qui va empêcher que la démocratie soit
parfaitement établie c’est le reproche aux accusés de commercer avec les démons,
en raison de leur comportement anti-social, qui se traduit dans leur habitat ,
puisqu'ils possèdent, dans leur maison silencieuse une chambre privée, fermée le jour et ouverte
la nuit, qui montre bien donc le
surgissement d'un individualisme destructeur des anciennes solidarités à
l'heure de la mondialisation des échanges.
À la mise en échec de la démocratie que les conditions
économiques extrêmement défavorables de la Réformasi ne semblent pas devoir
détruire, s'ajoute celle de l'idée de nation coincée entre le local : le village ou le quartier repliés sur lui-même et livrés
à la violence et le global : les
réseaux mondialisés du capitalisme et de
l'islam radical.
Le propos invoqué par l’auteur s’avère influençant de par sa
richesse et son originalité, mais
apparait au final décevant de par son caractère allusif. En outre, les
problèmes abordés par l’auteur sont d’une extrême complexité et donc il aurait
dû avoir un plus ample développement des analyses. Toutefois, cet ouvrage de
Romain Bertrand reste un ouvrage très intéressant et enrichissant pour notre
culture générale.
Sala Brahimi