mercredi 25 février 2015

Compte rendu de l'ouvrage "Indonésie, la démocratie invisible. Violence, magie et politique à Java"




Compte rendu d’ouvrage

Romain Bertrand « Indonésie, la démocratie invisible. Violence, magie et politique à Java ». Edition Kathala, 2002

Romain Bertrand est un politologue, chargé de recherche à la Fondation nationale des sciences politiques, Centre d'études et de recherches internationales (en 2002) et spécialiste de l’Indonésie. 

Dans l’ouvrage en question l’auteur explique la transition démocratique  qui accompagne le pays de l'Indonésie et plus spécialement les violences qui ont accompagné cette transition. C'est un ouvrage composé de six chapitres avec deux parties. Dans la première partie, le livre parle des croyances populaires (Singe blanc, Thuyul…)  et leurs influences, tandis que la seconde partie concerne essentiellement les pratiques des dirigeants de Suharto à Megawati. Parmi ces pratiques il y a le semadi, pèlerinages sur les tombes, œuvres charitables ou pieuses, etc. En outre, ces dirigeants font appel a leurs conseillers spirituels pour se concilier les faveurs des puissances occultes qui s'affrontent dans le domaine invisible.

Romain Bertrand dans son ouvrage propose d'une part l'image d'harmonie que la société javanaise entend donner d'elle-même en mettant de côté les explications politologiques habituelles reliant la violence aux conditions économiques et sociales ou encore à des facteurs religieux ou  ethniques. D'une autre part, il relie la modernité démocratique à des croyances occultes. Donc, l'ouvrage porte sur deux idées , d'un côté il porte sur la relation des violences collectives caractérisant la Java et la magie et de l'autre côté la relation de cette dernière à la démocratie.

Le premier thème permet de relier les violences collectives avec les croyances occultes et le sentiment d'être en insécurité spirituelle. Le second thème du livre affirme que la magie n'est nullement en contradiction avec la modernité démocratique. Donc, le sous-titre du livre ("violence, magie et politique") montre le rapport que ces trois éléments entretiennent dans la société javanaise.

Le politologue Romain Bertrand se focalise exclusivement sur le rapport de la violence avec la sorcellerie et même si des multiples formes de violences ont été présentes dans l'Indonésie au tournant du siècle. Les individus accusés de magie noire sont des individus coupables par leurs attitudes (arrogance, brusque enrichissement, manque d'intégration sociale) de léser la communauté. Donc, l'auteur montre que la violence se présente à elle-même comme une réaction légitime à une menace d'ordre surnaturel.

Toutefois, il n'apparaît pas toujours nécessaire de se référer à la magie. Dans de nombreux cas, la spontanéité des violences collectives n'est qu'apparente. L'orchestration de la rumeur permet d'inciter les foules au crime et de transformer les agresseurs en justiciers répondant d'avance à la violence qu'ils redoutent de leurs futures victimes. 

L’auteur fait une distinction de la foule et du peuple qui pose la question de la démocratie. Le peuple se distingue en effet de la foule par son organisation. La foule reçoit son unité de l'extérieur, du leader charismatique qui la fascine, le peuple de l'intérieur, d'une commune visée de l'intérêt général. Parler de «démocratie invisible » ne revient pas, pour Romain Bertrand, à rappeler comment la démocratie parlementaire n'a jamais réussi à s'imposer dans l'archipel, face aux différents modèles de pouvoir autoritaire.

Romain Bertrand, considère que le domaine des croyances au monde invisible constitue un code commun que partagent les élites gouvernantes et le peuple auquel elles ont à rendre des comptes.
Le fait de recourir aux conseillers occultes, quel que soit leur registre (magiciens, experts, techniciens, membres des services secrets, conseillers en communication) va cependant encadrer  la représentativité démocratique du pouvoir.  
En outre ce qui va empêcher que la démocratie soit parfaitement établie c’est le reproche aux accusés de commercer avec les démons, en raison de leur comportement anti-social, qui se traduit dans leur habitat , puisqu'ils possèdent, dans leur maison silencieuse  une chambre privée, fermée le jour et ouverte la nuit, qui montre bien donc  le surgissement d'un individualisme destructeur des anciennes solidarités à l'heure de la mondialisation des échanges.
À la mise en échec de la démocratie que les conditions économiques extrêmement défavorables de la Réformasi ne semblent pas devoir détruire, s'ajoute celle de l'idée de nation coincée entre le local : le village ou le quartier repliés sur lui-même et livrés à la violence et le global : les réseaux mondialisés  du capitalisme et de l'islam radical.

Le propos invoqué par l’auteur s’avère influençant de par sa richesse et son originalité, mais  apparait au final décevant de par son caractère allusif. En outre, les problèmes abordés par l’auteur sont d’une extrême complexité et donc il aurait dû avoir un plus ample développement des analyses. Toutefois, cet ouvrage de Romain Bertrand reste un ouvrage très intéressant et enrichissant pour notre culture générale.

 Sala Brahimi