mardi 24 février 2015

L'Indonésie, entre démocratie musulmane et Islam intégral : Histoire du parti Masjumi (1945-1960)

Cet ouvrage est écrit par Rémy Madinier, un historien agrégé et un chercheur au CNRS mais il est aussi le co-directeur du Centre Asie du Sud-Est ainsi que de l'Institut d'Etudes de l'Islam et du monde musulman. Spécialiste de l'Indonésie il consacre sa thèse en histoire sur la démocratie musulmane en Indonésie. Il porte aujourd'hui ses recherches sur l'histoire des rapports islamo-chrétiens en Asie du Sud-Est.
Dans cet ouvrage, il tente de dresser un portrait exhaustif de la mise en place et des répercussions sur le pouvoir indonésien qu'à eux le parti Musulman Masjumi entre les années 1945 et les années 1960. C'est à dire de l'indépendance du pays à l'interdiction du parti.

Pour Rémy Madinier, la nécessité de cet ouvrage se trouve dans l'absence total d'oeuvre scientifique, objective et poussé sur ce genre de thème. Il explique en ouverture de son ouvrage la difficulté pour accéder à une partie des informations plus personnelles sur les membres du partis et leurs habitudes. Cette absence de document se trouve aussi bien en Occident que sur place même, ou il a été compliqué d'écrire sur le Masjumi pendant un long moment. Il explique aussi, la nécessité de cette historiographie autour d'un islam asiatique et atypique bien souvent méconnu du public ainsi qu'en étant le parfait mi-chemin entre la vision islamique d'un Rachid Reda et d'un Mustafa Kemal, pour reprendre ses exemples.
Il nous met aussi en garde contre toutes les idées préconçus à l'encontre de l'islam politique et tente de nous libérer des barrières d'une vision potentiellement étriquée.

Ensuite la structure de son livre est assez évidente, il nous parle tout d'abord de la génèse du parti Masjumi. L'arrivée et l'implantation de l'Islam au courant de l'histoire, notamment dans les cours des roi Hindou-bouddhiste de Majapahit à Java-Est, ont permis à cette religion de devenir centrale. Bien que l'implantation soit encore un sujet de controverse, son histoire lui a clairement permis de devenir la religion principale de l'Indonésie aujourd'hui.
La présence nippone entre 1943 et 1945 a été un véritable levier pour la création et l'avènement du parti. Avec une politique japonaise se reposant sur l'Islam, se conclut par la création Le Conseil consultatif des Musulmans d'Indonésie, dont le nom en indonésien est très proche du Masjumi. Cette paternité entre les 2 organisations avec un partage des tâches entre les membres présents dans les 2 organismes assez précis. Ceux faisant parti du conseil sous la direction japonaise étant plus discret lors de l'indépendance et inversement. Avec une politique tantôt pro-musulman, tantôt populaire les japonais ont permis l'avènement d'une politique musulmane sur l'avant de la scène indonésienne.

A la veille de l'indépendance, la plupart des membres politiques voulant d'une constitution était aperçu comme un devoir religieux en tant que musulman. Religion et politique étaient donc indissociable. Comme nous le rapporte l'auteur, les comptes-rendus officiels des réunions du Comité d'études sont perdus ou n'ont jamais été rédigé nous rend impossible de nous rendre compte de les rôles des principaux leaders comme Muhammad Yamin ou Soekarno. Ce qui est sur c'est que le 1er juin 1945, quand Soekarno fait le discours « naissance du Pancasila », il propose « 5 fondements » (Pancasila en sanskrit peut être traduit par 5 fondements), pour l'Etat indonésien. Cet Etat devra donc se reposer sur le Nationalisme, l'internationalisme ou le sens de l'humanité, la démocratie dans le consensus, la prospérité sociale et la foi en un Dieu unique. Ce 5ème fondement rassure les citoyens indonésiens car Yamin avait proposé lui une république laïc.
A la fin de la guerre, suite au retour des Hollandais, la nouvelle République a du résister à différentes révolutions financer par les européens, notamment la révolution communiste de Madiun. L'Indonésie put enfin évoluer dans une stabilité grandissante.
Une république parlementaire à « l'européenne » est mise en place en Indonésie suite à une petite période de difficulté constitutionnelle. Il faudra attendre 1959, soit presque 10 ans avant de voir la fin de la constitution provisoire et la définitive ratifiée. Plusieurs points créaient de nombreux troubles politiques notamment comme la fonction présidentielle bien trop faible face au charisme de Soekarno et de ses capacités politiques à dirigées le pays. Le parlement était séparé entre 3 pôles principaux, la religion, le nationalisme et le marxisme. Ces 3 pôles étaient en lutte constante pour contrôler le parlement.
Le Masjumi possédait un quasi-monopole sur la représentation de l'Islam en politique pourtant avec l'avènement en 1952 de la renaissance du Nahdlatul Ulama (NU), avec qu'il fit une alliance sous la forme d'une fédération, le parti ne semblait donc pas prendre la mesure de l'événement. Les NU, plus traditionaliste que le Masjumi créait une sorte de fracture au sein du parti. Une parti des partisan était contre cette alliance. Petit à petit, suite à un jeu politique adroitement mené par le NU et différents partis le Masjumi se retrouve de plus en plus isolé sur l'échiquier politique et perd une large parti de son électorat. Obligé de renouer avec les voix pour espérer une plus large expansion au sein du Parlement, le parti musulman se voit obliger de retourner vers une politique plus de droite, plus radicale en terme d'Islam.

Suite à ce changement d'opinion une large parti de l'électorat perçu le Masjumi comme un échec politique et aux élection de 1955, leur 3ème position au parlement fut très mal perçu par les membres du parti, convaincu de représenter une large partie de la population (80%). Le parti se rapprocha donc de la rébellion du Darul Islam et se vu interdire en 1960. Soekarno perdit son combat en politique et militaire contre Suharno.


J'ai trouvé cet ouvrage très intéressant et surtout très complet vis à vis de la situation en Indonésie à cette époque. Grâce à un travail de recherche poussé qu'on constate avec des graphiques, des dessins de propagande ainsi que des comptes-rendus de divers conseils, les rôles de plusieurs politiciens sont bien mis en lumière. Le Masjumi est un des piliers centraux de la création de la République Islamique d'Indonésie, et on comprend mieux comment cette nouvelle forme de « sécularisation » si particulière à ce pays est possible.
Par contre, ayant lu, Indonésie : La démocratie Invisible, de Romain Bertrand, cet ouvrage permet de mettre en avant certaines traditions plus folklorique dans la politique indonésienne que Rémy Madinier met, je pense, ouvertement de côté pour éviter trop de confusion. Bertrand nous explique car exemple comment la magie influt-elle sur le monde politique et je pense que mettre ses 2 ouvrages en relations permet d'avoir une vision plus globale de la situation complexe en Indonésie entre modernisme, islam plus traditionnel, et culte ancestral magique.