mardi 24 février 2015

Ramata Baillet

Compte rendu d'ouvrage

Romain Bertrand, L'Histoire à parts égales: Récits d'une rencontre Orient-Occident (XVIe-XVIIe siècle), Editions du Seuil, 2011

Romain BERTRAND est un chercheur spécialiste de l'Indochine. Il est directeur de recherche à la Fondation nationale des sciences politiques. Diplômé de l'IEP de Bordeaux et de Sciences Po Paris, il a écrit une thèse portant sur les trajectoires d’entrée en politique de membres de l’aristocratie javanaise en Insulinde coloniale, c'est-à-dire la partie occupée par les Hollandais. C'est d'ailleurs cette région du monde qui l'intéresse dans cet ouvrage. Il y revient sur les relations entre les Européens, surtout les Hollandais et dans une moindre mesure les Portugais avec la population de Java du XVIe au XVIIe siècle, en essayant de montrer la perception qu'avaient les deux camps de l'autre, et de montrer les points essentiels de l'histoire des relations entre l'Europe et Java à cette période. Pour réaliser ce livre, il s'est concentré sur des textes d'époques, dont des comptes rendus de voyage ou des poèmes rédigés par les acteurs concernés, du côté européen comme du côté javanais. On peut d'ailleurs regretter le fait que les notes sur ces sources se retrouvent à la fin du livre, ainsi que les explications de vocabulaire. Néanmoins, cet ouvrage reste complet et apporte une autre perspective de l'expansion européenne en Asie qui n'est pas euro-centrée. Pour essayer de rendre compte de l'ouvrage, nous verrons certains des thèmes abordés par l'auteur dans l'ouvrage.

Romain BERTRAND commence dans l'introduction de l'ouvrage par contredire la vision la plus admise des relations entre occidentaux et orientaux, celle qui veut qu'après l'arrivée européenne dans cette région du monde, la vie et les interactions des populations locales ne tournaient plus qu'autour des nouveaux venus. C'est ce que l'auteur tente de démontrer tout au long de l'ouvrage. Dans le premier chapitre, BERTRAND aborde l'arrivée des premiers vaisseaux hollandais à Banten. La raison principale qui pousse les hollandais à aller en Asie est de faire du commerce d'épices et ainsi sortir de leur dépendance par rapport aux Portugais dans cet aspect. Dans cette partie de l'ouvrage, l'auteur traite des enjeux de cette compétition et aborde l'un des points qui pouvait faire basculer l'avantage d'un côté, à savoir la cartographie et surtout les technologies de navigation, essentielles dans la perspective d'arriver à destination dans les délais les plus courts. Il souligne alors le fait que les navigateurs asiatiques étaient au même niveau, voire plus avancé que leurs collègues européens dans ces technologies, ce qui a conduit les équipages hollandais ou portugais à enlever des experts chinois ou javanais pour les conduire où ils le souhaitaient, fait démontré par l'exemple d'un Javanais qui a accompagné l'équipage du Duc de Houtman jusqu'en Hollande avant de repartir avec une autre expédition vers Java, retranscrit dans le True Report qui relate la deuxième expédition hollandaise vers l'Asie.

Un deuxième point important abordé par l'auteur dans cet ouvrage est celui de la religion. En effet, l'une des justifications les plus importantes apportées pour expliquer les raisons de l'expansion européenne vers l'Orient est celle du devoir des Européens de civiliser les « indigènes », notamment par la religion. Or, nous explique Romain Bertrand, cet aspect de ces voyages n'arrive que bien plus tard, à la fin du XVIe siècle. De plus, c'est un point très minime qui, lorsqu'on lit le livre, n'était pas si important que cela, en tout cas pour les Hollandais. Pour expliquer cela, l'auteur s'appuie sur les comptes rendus de voyage de Willem de Lodewijcksz qui décrit ce qu'il voit et ne semble pas accorder d'importance aux pratiques religieuses javanaises, alors même que les puissances européennes catholiques comme la France, le Portugal et l'Espagne envoie des évangélistes lors de leurs expéditions pour éviter que les « indigènes » ne tombent dans l'hérésie protestante, ce qui étant en quelque sorte le conflit religieux européen jusqu'en Asie.

Lors de la lecture de cet ouvrage, j'ai apprécié le ton utilisé par l'auteur. En effet, l'écriture n'est pas dure à comprendre et l'auteur semble s'adresser à un public large et pas forcément adepte du vocabulaire scientifique. Cela tranche assez avec l'utilisation de termes javanais ou hollandais qui ne sont pas traduits sur la page où ils sont utilisés, ce qui oblige le lecteur à chercher le mot dans le glossaire à la fin du livre, qui ne contient pas tous les termes étrangers utilisés dans ce livre. Un autre point négatif que j'ai trouvé est l'utilisation trop systématique de citation d'ouvrages qui parfois étaient trop longues, faisant plusieurs pages. Cela crée une sorte de coupure avec le texte de l'auteur qui arrive directement après la citation. Mis à part ces quelques éléments, ce livre a été une lecture intéressante qui permet de mieux comprendre les dynamiques qui entraient en jeu lors de l'établissement des relations entre l'Orient et l'Occident du XVIe au XVIIe siècle.