lundi 23 février 2015


Romain BERTRAND, Indonésie : la démocratie invisible. Violence, magie et politique à Java, Paris, Éd. Karthala, coll. « Recherches internationales », 2002, 244 p.  




Romain Bertrand, l'auteur de ce livre, est considéré comme étant un spécialiste de l'Indonésie, en effet sa thèse avait pour sujet « Les trajectoires d’entrée en politique de membres de l’aristocratie javanaise en Insulinde coloniale des années 1880 aux années 1930 ». De plus il est allé à plusieurs reprises en Indonésie et a réalisé de nombreux écrits sur ce pays, actuellement il est titulaire du poste de directeur de recherche à la Fondation nationale des sciences politiques. Dans cet ouvrage il utilise des sources variées de première main (des entretiens qu'il a lui même mené) et de seconde main (des articles de presse, etc). L'ouvrage qui va être résumé ici constitue son premier livre.

Dans cet essai, l'auteur adopte une démarche se basant sur des variables essentiellement qualitatives (entretiens, articles de presse, livres spécialisés, etc). L'objectif de ce livre est, comme l'auteur le précise dans son introduction, de se détacher du discours médiatique qui résume l'Indonésie, d'un point de vue occidentalo-centré. Ce discours pleins de jugements de valeur résume donc la vie d'un archipel de plus de 200 millions de personnes à des événements violents eux-même basés sur les faits et gestes de quelques personnalités politiques. L'auteur va chercher à déconstruire et comprendre pourquoi cette société est si particulière, surtout d'un point de vue occidental et pourquoi nous la trouvons si violente.


À la lecture de ce livre on remarque une division en deux parties distinctes, dans un premier temps l'auteur présente (avec les exemples des singes blancs des thuyuls des djinns et autres créatures) le monde invisible indonésien fruits d'une croyance en la magie qui s'inscrit dans une vision de l'islam très présent mais qui semble finalement peu orthodoxe. Ensuite dans un deuxième temps la place est faite aux implications que ces croyances ont sur la société et le politique, croyances qui ont des implications jusque dans les aspects les plus simples de la vie courante, une sorte de tyrannie des croyances qui pousse les individus qui baignent dans cette culture à adapter le moindre événement de leur vie quotidienne en fonction de celles-ci. Comme l'auteur l'illustre avec des exemples concrets, ces croyances fortes vont avoir des implications sur la vie politique avec une forte dimension morale. Par exemple les élus doivent montrer leur générosité envers la communauté au risque d'être soupçonnés de commerce avec les mauvais esprits, les rumeurs ont ici un rôle important car ces soupçons circulent sous forme de parole entre individus, ces rumeurs qui peuvent se propager très rapidement peuvent aboutir à des lynchages collectifs entrainant parfois la mort des individus soupçonnés de magie noire. Une différence, certes manichéenne, mais très importante est faite entre  la magie positive (qui permet de se rapprocher de Dieu) et négative (qui est un commerce avec les esprits pour arriver à ses fins, comme la richesse mais qui nécessite de donner à ses esprits la vie de proches). L'auteur à de nombreuses reprises nous fait remarquer que ces croyances évoluent en fonction de l'époque, que par exemple les grandes chasses aux sorcières arrivent souvent à des moments de grande crise politique ou économique. Dans son développement l'auteur va notamment expliquer comment ce qu'il appelle le « répertoire mystique du politique » permet au citoyen ordinaire de communiquer avec les élites.

Ce livre permet de dépasser les préjugés occidentalo-centrés relayés par les médias qui n'approfondissent et ne déconstruisent pas ces phénomènes pourtant indispensables à la compréhension de la vie au sein de l'archipel indonésien. De plus il montre en conclusion que ce monde invisible n'est pas une caractéristique que l'on retrouve uniquement dans la société indonésienne mais aussi dans les sociétés européennes, en effet page 186 il avance : « certes l'existence du monde invisible n'est pas dicible de la même façon en tous temps et en tout lieux. Mais la rumeur, le scandale, le mythe du complot de le fantasme de la clandestinité habitent la plupart des sociétés politiques [] Toute démocratie a ses démons, toute société ses peurs et ses talismans ». Le travail de déconstruction qui nécessite une connaissance accrue de l'histoire, la culture et les croyances de l'Indonésie est bien mené, une reproche peut-être faite à Romain Bertrand sur l'utilisation de termes inconnus qui est récurente, cela est parfois un frein à la bonne compréhension de l'ouvrage, ce problème est dû à une culture très riche qu'il est difficile de résumer en seulement 240 pages, cependant des explications fluides contrebalancent cela, en effet les enjeux importants et centraux sont simples à appréhender car bien expliqués. Son ouvrage constitue une excellente introduction à la compréhension de l'Indonésie et nous donne des armes symboliques afin de combattre les préjugés et autres fantasmes qui entourent la vie de ce pays. Les annexes aident énormément à la compréhension, cependant une introduction plus longue qui consacrerait un passage à l'histoire de l'Indonésie serait de mise pour une compréhensions accrue du développement des propos de l'auteur.