lundi 23 février 2015

Les musulmans d'Asie du Sud-Est face au vertige de la radicalisation

Les musulmans d'Asie du Sud-Est face au vertige de la radicalisation
Stéphane Dovert, Rémy Madinier
Les Indes Savantes, 2003






              La partie sud-est asiatique regroupe près d'un tiers des musulmans de la planète. Qu'il soit religion d'état ou confession minoritaire, l'islam pose de nombreuses questions tant sur le plan social que politique. Depuis les attentats du 11 septembre, un intérêt particulier est porté au phénomène de radicalisation des musulmans. C'est dans l'optique d'éclaircir la question de la radicalisation en Asie du sud-est que Stéphane Dovert et Rémy Madinier publient en 2003 un ouvrage intitulé Les musulmans d'Asie du Sud-Est face au vertige de la radicalisation. Stéphane Dovert, spécialiste français de l'histoire et des sciences politiques de l'Asie du Sud-Est et Rémy Madinier, chercheur au CNRS, et co-directeur du CASEIEI s'attachent tout deux à éclaircir l'aspect pluriel du culte. En effet, loin d'une homogénéité pratique et spirituelle, l'islam prend différentes formes et la situation sociale des musulmans crée des groupes extrémistes.
Cet ouvrage collectif se donne pour mission d'offrir une vue d'ensemble du phénomène de radicalisation de l'Islam dans les pays d'Asie du Sud-Est. Après des siècles de stabilité relative, les auteurs notent une radicalisation de l'islam. Ainsi, ils souhaitent mettre en lumière les différents facteurs de la radicalisation de l'islam, au moyen d'une focalisation sur chacun des pays suivants : Indonésie, Malaisie, Thaïlande, Cambodge, Birmanie et Philippines. La mosaïque ainsi créée dévoile des tensions ethnico-religieuses, des arrangements politiques et des stratégies de nature prosélyte.

L'ouvrage est divisé en deux partie : les pays à majorité musulmane :

- La Malaisie : Les auteurs expliquent la radicalisation de l'Islam malais, principalement par des tensions entre le gouvernement et des organisations influentes qui le remettent en cause : le PAS, l'ABIM, le Darul Arquam. La stratégie employée par le gouvernement malais est de reconnaitre les valeurs de islam afin de les encadrer, et ainsi prévenir toutes dérives radicales. Bien que le gouvernement accompagne les Etats-unis dans sa lutte contre le terrorisme, l'influence du Wahhabisme des pays du Golfe -qui subventionne l'éducation des jeunes malais- rassemble de nombreux croyants derrière la formation d'un état islamique.

- Indonésie : les auteurs démontrent que la divergence d’intérêt entre le gouvernement et la population engendre une radicalisation dans la pratique de l'islam. La réputation d'archipel intereligieuse s'effrite avec la recrudescence des émeutes anti-chinoises et anti-chrétiennes. Pourtant, le parti de l'Ordre Nouveau, favorable au christianisme, prend le pouvoir et durant ce règne, les musulmans se sentent opprimés. De là va se former un sectarisme religieux, à la fois source et mode de radicalisation. Concomitamment, le wahhabisme s'exporte sur l'archipel avec l'intervention des pays du Golfe dans l'éducation des jeunes indonésiens marginalisés, à la recherche de normes et de hiérarchies alternatives.

La seconde partie sur les pays à minorité musulmane tel que :

-La Thaïlande, pays bouddhiste, dans lequel le musulman est défini par son identité ethnolinguistique. La radicalisation de l'islam découlerait de la politique de thaïcisation du pays puis la migration bouddhiste vers la Patanie entraîne une seconde vague de radicalisation. L'organisation PULO ouvre la porte de la violence et des discours salafistes qui vont jusqu'à prôner l'idée d'apartheid religieux. L'Etat se montre favorable au séparatisme, évitant ainsi l'intensification du désordre social. La Thaïlande préfère l'encadrement à la répression.

-Le Cambodge est présenté par les auteurs comme un pays qui a su trouver un équilibre social, bien que le bouddhisme soit la religion étatique. Les principales tensions viendrait du fondamentalisme missionnaire des pays du golfe. Depuis la période des khmers rouges, musulmans et Cham massacrés voient leur identité dissolue. L'Islam revient sous une forme qui se veut originelle, inspirée du wahhabisme saoudien. L'orthodoxie prend son importance avec l'intervention de la RIHS et des missionnaires étrangers. Bien que la région sud du Cambodge soit régie par l'islam, les populations restent soumises à la loi civile.

- La Birmanie apparaît comme la plus conflictuelle, l'islam radical est, selon les auteurs, comme renforcée par une oppression de la part du gouvernement Birman. La persécution ethnique et religieuse des Arakan engendre une radicalisation. La marginalisation économique et sociale, ainsi que l'acculturation forcée, ouvre la porte au radicalisme. Les violences perpétrées par l'armée poussent à la migration vers des pays musulmans, le risque de la récupération de ces populations par des groupes extrémistes s’accroît.

-En Philippines, Madinier et Dovert notent la création d'une identité artificielle musulmane, les moro. Les terres occupées par les musulmans données aux catholiques créent des perturbations sociales et des troubles économiques. Les massacre perpétrés sur populations musulmanes entraînent la formation de groupe comme le MIM qui souhaite un état islamique indépendant. Les accords sont signés pour l'autonomie des musulmans du sud à condition qu'ils abandonnent leur idée d'indépendance. Là encore les pays du golfe soutiennent et envoient des missionnaires.

A mon sens, cet ouvrage est intéressant à la fois par son aspect objectif et par son organisation. La bibliographie et le glossaire situé à la fin est séparée par pays facilite les recherches. Toutefois, les auteurs sacrifient parfois l'enchaînement logique des idées afin d'alléger la lecture. Il est également regrettable de ne pas avoir d'informations précises sur la propension de croyant favorables à la radicalisation dans chacun des pays.


Sigles :

PAS : Partie islamique panmalais

ABIM : Mouvement de la jeunesse malaise

PULO : Patani United Liberation Organisation

RIHS : Revival of islamic heritage society

MIM Muslim Independant Mouvement
                                                                                                                       CHEHIH Maryam