mardi 17 mars 2015

Bureaucratie et famine en Chine au 18e siècle 

Toutes les civilisations au cour leur Histoire ont connu des crises de subsistance et la Chine ne fait pas exception à cette règle, il semble intéressant de se pencher sur les solutions que l’administration chinoise a su apporter car d’une part la taille de sa population est un facteur qui amplifie ces crises et d’autre part cette civilisation éloignée de nous qui trouve sa genèse dans le confucianisme peut nous apporter un regard diffèrent face à ces crises universelles.
« Bureaucratie et famine en Chine au 18e siècle », nous livre les clés d’un succès chinois qui a permis de lutter contre une croissance géométrique de la population vis-à-vis d’une croissance arythmique des ressources. Ce livre se concentre sur le 18e siècle car celui-ci est une période de boom démographique en Chine, très vite l’économie « primitive » chinoise doit absorber 50 millions d’habitants qui viennent s’ajouter aux 250 millions déjà présents alors que ce pays n’a même pas connu de révolution industrielle et il aura fallu attendre le dernier quart du 20e siècle pour que la Chine rentre définitivement dans l’ère de la croissance.

En lisant ce livre, nous pouvons être
 impressionnés de voir à quel point la bureaucratie chinoise a été efficace malgré le peu de moyen technologique de communication dont cet État disposait (ainsi que l’étendue du territoire chinois), cette administration chinoise a su déployer des moyens efficaces et sophistiqués pour éviter une catastrophe Malthusienne digne d’un état-nation moderne. Nous pouvons décomposer ce livre en deux parties une première qui est dédiée aux raisons de ces crises de subsistances ainsi que leurs conséquences néfastes, la deuxième partie est dédiée aux solutions que la bureaucratie chinoise a su apporter.



Tout d’abord, il faut savoir que la Chine subit différents types de climat sur son sol tantôt tempéré au nord tantôt il y a des moussons au sud (avec une irrégularité) tantôt continentales à l’intérieur du pays de plus il y a une pression hydrique qui provoque des inondations mais aussi des périodes de sécheresses. Avec cette diversité climatique, on s’imagine bien que cela impacte sur le niveau de la production agricole du pays et que chaque climat ramène ses lots de cataclysmes différents, nous pouvons aussi ajouter à cette liste les guerres qui provoquent un exode de la population et par conséquent de la population agricole aussi. Ce sont des facteurs classiques qui expliquent une chute de la production agraire d’un pays.
Les effets directs sur l’Homme sont aussi visibles et analysés dans ce livre, les famines crées une situation d’insuffisance de la production agricole qui provoque une surmortalité chez l’homme et donc une baisse de population (à noter que les populations se nourrissent d’herbes et d’écorces en cas de famines) c’est un effet quantitatif mais il y a aussi un effet qualitatif sur le capital humain, les populations subissent des maladies du fait de l’affaiblissement de leurs organismes (typhus en particulier dans les régions froides du nord).
Ce sont les mécanismes régulateurs naturels, classiques et universels d’une crise de subsistances qui permettent une situation d’équilibre entre ressources agricoles et démographie en Chine.

Ce qui est moins universel par rapport aux autres pays, ce sont les effets sur les flux migratoires internes, les populations fuient les pénuries agricoles en
 ville. Cet exode de la faim a une conséquence à long terme sur la production agricole, un cercle vicieux s’instaure, en voulant émigrer ces populations abandonnent leurs travaillent agricoles et ne reviennent pas ou très tardivement pour les récoltes suivantes, cela perturbe les cycles de production à long terme.
Naturellement il y a aussi des conséquences indirectes et sociales sur le fonctionnement de la société chinoise, la famine ne fait que monter les tensions entre les individus, les populations errantes sur les routes (insécurité …) sont incitées à se révolter contre le pouvoir mis en place et en particulier contre la «gentry» détenant les richesses dans les milieux ruraux loin de la capitale qui abrite l’empereur et l’administration centrale. En effet durant ces périodes de crise de subsistances l'élite économique locale (ou gentry qui correspond à la bourgeoisie) trouve le moyen d’accroître leurs patrimoines en pratiquant l’usure ou en rachetant à bas prix les terres des petits propriétaires fonciers ( différents de la tenure), la concentration du patrimoine de l’élite s’accroît tandis que les petits porteurs se voient « spolier » le peu de patrimoine qu’ils ont pour s’acheter des subsistances, dès le 16eme siècle, on assiste à un fossé grandissant entre la classe possédante et classe démunie, une inégalité s’accroît entre propriétaires absents et urbains et les tenanciers ruraux. La société adopte des traits de plus en plus capitaliste avec une conception de lutte des classes. Les liens économiques sont moins personnalisés et deviennent contractuelles, la terre devient marchandise … dans les régions à forte concentration foncière, un décalage se désigne entre l’idéale confucéenne et la réalité un dilemme apparaît pour la masse de petits paysans chinois: se soumettre ou lutter, on assiste à un début de polarisation de la société chinoise un combat entre charités, insécurité et militarisation des campagnes.
 À tout cela on peut ajouter les infanticides et la prostitution qui sont des vecteurs de tensions et d’instabilité politique et sociale.Et pour couronner le tout, il y a un problème de communication entre administration centrale et administration locale typiquement caractéristique des systèmes organisationnels bureaucratique (outils, délais de réponses tardif en cas de famines de la hiérarchie, nombre de fonctionnaires réduits, corruption …).



Face à ces conséquences liées aux famines, les autorités publiques doivent répondre rapidement aux problèmes liés à l’accroissement de la population, il faut d’abord segmenter la population géographiquement afin de répondre aux besoins de tous. Il y a nécessité à organiser des soupes populaires ainsi que des aides sous formes physiques ou d’assistance monétaire, l’heure est à la réforme. On en vient à la deuxième partie celle du dispositif employer par l’administration pour lutter contre le déséquilibre entre population et production agraire.

Il faut noter que l’administration chinoise ressemble déjà à un état moderne à cette époque l’État dispose de puissants outils statistiques pour lutter contre ces famines (une sorte d’INSEE à la chinoise du 18eme siècle).
La première analyse que nous pouvons faire sur le paysage agricole chinois, c’est que certaines régions sont spécialisées dans certaines cultures (sojas, tabac, coton, céréales..) par conséquent il y a une relation d’interdépendance entre les zones géographiques et afin que les richesses puissent circuler à travers le pays, la première mesure à prendre est l’abolition de barrières tarifaires à l’intérieur du pays (droit douanes internes), il faut unifier le marché pour que les richesses circulent de façon efficace et diminuer les amplitudes de prix dans les régions isolées ou la famine sévices . Les régions ayant un surplus agricole peuvent approvisionner les régions en déficit agricole. De plus l’administration chinoise cherche à intervertir sur le commerce extérieur chinois, les exportations de produits agricoles sont suspendus (sauf le soja de Mandchourie) ce qui a pour effet de maintenir des prix bas en interne. Un mécanisme de solidarité s’instaure en Chine entre régions exportatrices et importatrices (même si les intérêts entre les différentes administrations locales sont divergentes).
L’État a investi au cours du 18eme dans les infrastructures publiques (routes, barrages …) ce qui permet une unification du marché même les régions densément peuplées et isolées (exemple Sichuan) peuvent être approvisionnées cela permet une baisse des coûts liées aux transports de subsistance. L’investissement s’est fait aussi dans la gestion hydraulique les barrages entretenus par la gentry permettant une augmentation des rendements agricoles dans toute la Chine. Ce sont des mesures mercantilistes similaires aux états européens aux cours du 17eme siècle.
On remarque aussi que les autorités ont eu l’idée de créer dans chaque province chinoise et dans chaque « préfecture » des greniers publics ou sont stocker des réserves locales de céréales en cas de pénuries. Cette mesure a pour but de lutter contre le dérapage des prix c’est un moyen de contrôle peu efficace car il permet uniquement de baisser de 10% le prix de marché en cas de famine. Ces greniers ont des réserves de céréales à prix constants (les autorités achètent à prix « normal » pour les revendre en situations de pénuries). Il faut aussi noter qu’il y a un effet pervers à ce système (qui est d’abord destiné aux plus démunis), certains fonctionnaires corrompues vendent ces subsistances à prix réduit à des personnes qui ne sont pas dans le besoin et qui eux aussi à leur tour vont le revende au prix du marché ou qui les stocks pour spéculer sur les prix à la hausse (il y a même a cette époque des firmes de courtage qui se développent). La décentralisation permet de réduit les délais de réponses en cas famine de la part des autorités publiques mais le revers de la médaille est la monté de la corruption de la gentry,il y a méfiance vis à vis du commerçant mais l’administration a besoin de lui et collabore même. Il est intéressant de noter que cette décentralisation du pouvoir est accompagné en partie par un financement de la part de la bourgeoisie (et donc par le privée) pour des raisons de prestiges ou par peur de révoltes.
Ce système de greniers publiques montre quand même des limites et d’ailleurs les empereurs chinois (Qianlong et Yang Zhang) en sont conscients les prix réduits ne permettent pas de dominer le prix de marché, c’est le laissez faire à la chinoise. L’autorité centrale a toujours refusé d’administrer les prix elle connaît les effets pervers du dirigisme économique. Une autre limite de ce système de stockage est la diffusion de la crise à une autre région, ce système de stockage est une composante de la demande (ou emplois) au même titre que la consommation et les exportations par conséquence cella maintien les prix de façon élever de façon artificielle à court terme (au début de la mise en place de ce système de greniers)

D’autres mesures viennent d’ajouter comme la fixation des flux de population, cette mesure consiste à lutter contre les migrations en cas de famines qui détruisent à long terme et moyen terme les cultures futures, des campagnes de propagandes sont menées pour discriminer les populations qui quittent leurs régions, des allocations de retour sont créés mais une fois encore il faut faire attention aux «faux errants».
Des dispositifs sont mis en place pour améliorer les rendements agricoles, après les famines les autorités publiques financent les paysans afin qu’ils puissent acheter des semences agricoles ainsi que des bêtes pour labourer la terre ceci augmente le potentiel productif après les inondations et les sécheresses.
Des mesures fiscales sont prises comme des reports d’impôts, remboursements de prêts ou des impôts fonciers dégressifs. Les autorités rachètent aussi leurs productions à un  « prix juste » pour alimenter les greniers (ni trop élevé car pas rentable pour les autorités, ni trop bas pour ne pas désinciter l’investissement agricole)

Tout au long du 18eme siècle on assiste à une amélioration extensive du monde agricole chinois grâce aux incitations individuelles microéconomiques des autorités (fiscalité, subventions …) ainsi qu’aux interventions macroéconomiques (suspension des exportations, investissement publiques dans les aménagements hydrauliques et contrôle du débit des fleuves …) qui éloigne le spectre de la famine. Les rendements agricoles sont meilleurs et ces interventions sont plus efficaces que les greniers, la sécurité du droit de propriété privée est respecté, la reforestation et l’irrigation sont devenues
Nous pouvons découper en deux périodes le 18eme siècle:
1700 à 1750: manipulation du marché en intervenant sur celui-ci en unifiant les marchés internes, greniers, achats publiques, cadres réglementaires …
1750 à 1800: efficacité de l’état, intervention purement financière, amélioration du pouvoir d’achat et des rendements agricoles ...




Pour conclure sur ce livre, il est intéressant de constater que tous ces dispositifs mis en place par la bureaucratie chinoise au cours du 18eme siècle ont permis de lutter contre une catastrophe Malthusienne et de muter le paysage agricole chinois (ceci peut être assimiler à une petite révolution agraire pré-moderne) même si ces dispositifs montrent des limites: la corruption est toujours présente aux sein des fonctionnaires (falsifications des documents comptables des greniers par exemple …), aucune croissance du nombre de fonctionnaires qui est sensé aller de pair avec la croissance démographique, difficultés pour prélever l’impôt, détournement illégal des eaux, dépréciation des infrastructures hydriques …
Nous pouvons aussi ajouter que ce qui a révélé les limites de ce système est tout simplement la croissance continue de la population qui a dépassé la croissance agricole, l'innovation organisationnelle, l'extension et l’unification des marchés , la diffusion technologique(semences) permettent bien d'augmenter la production agricole mais ne permet pas de lutter contre la loi des rendements décroissants (cela permet de gagner quelques années) seuls les innovations radicales (de type procédé) permettent de faire progresser la production agricole de façon exponentielle. Des tensions politiques apparaissent à l'intérieur du pays au cours du 19eme (rebellions Taiping, révolution des boxers, sectes, banditisme) ainsi qu'a l’extérieur (les guerres d'opium)
Il faut ajouter à tout cela que la Chine a connu des problématiques sur le plan idéologique similaires à l’Europe: le mercantilisme, le libre-échange, laissez faire, Les empereurs favorables aux libre- échange interne mais pas avec le reste du monde…
Sur le plan culturel, il y a un affaiblissement du confucianisme et des idéaux moraux,Au tournant du 19eme siècle La Chine est en passe devenir une nation en déclin, il aura fallu attendre le 21eme siècle pour enrayer cette chute.