Bureaucratie
et famine en Chine au 18e siècle
Toutes
les civilisations au cour leur
Histoire ont connu des
crises de subsistance et la Chine ne fait pas exception à
cette règle, il semble intéressant de se pencher sur les solutions
que l’administration chinoise a su apporter car d’une part la
taille de sa population est un
facteur qui
amplifie ces crises et d’autre part cette civilisation éloignée
de nous qui trouve sa genèse dans le confucianisme peut nous
apporter un regard diffèrent face à ces crises universelles.
« Bureaucratie
et famine en Chine au 18e siècle »,
nous livre les
clés d’un succès chinois qui a permis de lutter contre une
croissance géométrique de la population vis-à-vis d’une
croissance arythmique des ressources. Ce livre se concentre sur
le 18e siècle
car celui-ci est une période de boom démographique en Chine, très
vite l’économie « primitive » chinoise doit absorber
50 millions d’habitants qui viennent s’ajouter aux
250 millions déjà présents alors
que ce pays n’a même pas connu de révolution industrielle et il
aura fallu attendre le dernier quart du 20e siècle
pour que la Chine rentre définitivement dans l’ère de la
croissance.
En lisant ce livre, nous pouvons être impressionnés de voir à quel point la bureaucratie chinoise a été efficace malgré le peu de moyen technologique de communication dont cet État disposait (ainsi que l’étendue du territoire chinois), cette administration chinoise a su déployer des moyens efficaces et sophistiqués pour éviter une catastrophe Malthusienne digne d’un état-nation moderne. Nous pouvons décomposer ce livre en deux parties une première qui est dédiée aux raisons de ces crises de subsistances ainsi que leurs conséquences néfastes, la deuxième partie est dédiée aux solutions que la bureaucratie chinoise a su apporter.
Tout
d’abord, il faut savoir que la Chine subit différents types de
climat sur son sol tantôt tempéré au nord tantôt il y a des
moussons au sud (avec une irrégularité) tantôt
continentales à
l’intérieur du pays de plus il y a une pression hydrique qui
provoque des inondations mais aussi des périodes de sécheresses.
Avec cette diversité climatique, on s’imagine bien
que cela impacte
sur le niveau de la production agricole du pays et que chaque climat
ramène ses lots de cataclysmes différents,
nous pouvons
aussi ajouter à cette liste les guerres qui provoquent un exode de
la population et par conséquent de la population agricole aussi. Ce
sont des facteurs classiques qui expliquent une chute de la
production agraire d’un pays.
Les
effets directs sur l’Homme sont aussi visibles et analysés dans ce
livre, les famines crées
une situation d’insuffisance de la production agricole
qui provoque une
surmortalité chez l’homme et donc une baisse de population (à
noter que les populations se nourrissent d’herbes et d’écorces
en cas de famines) c’est un effet quantitatif mais il y a aussi un
effet qualitatif sur le capital humain, les populations subissent des
maladies du fait de l’affaiblissement de leurs organismes (typhus
en particulier dans les régions froides du nord).
Ce
sont les mécanismes régulateurs naturels, classiques et universels
d’une crise de subsistances qui permettent une situation
d’équilibre entre ressources agricoles et démographie en Chine.
Ce qui est moins universel par rapport aux autres pays, ce sont les effets sur les flux migratoires internes, les populations fuient les pénuries agricoles en ville. Cet exode de la faim a une conséquence à long terme sur la production agricole, un cercle vicieux s’instaure, en voulant émigrer ces populations abandonnent leurs travaillent agricoles et ne reviennent pas ou très tardivement pour les récoltes suivantes, cela perturbe les cycles de production à long terme.
Naturellement
il y a aussi des
conséquences indirectes et sociales sur le fonctionnement de la
société chinoise, la famine ne fait que monter les
tensions entre les individus, les populations errantes sur les
routes (insécurité …) sont incitées à se révolter contre le
pouvoir mis en place et en particulier contre la «gentry» détenant
les richesses dans les milieux ruraux loin de la capitale qui
abrite l’empereur et l’administration centrale. En effet durant
ces périodes de crise de
subsistances l'élite
économique locale (ou
gentry qui correspond à la bourgeoisie) trouve le moyen
d’accroître leurs
patrimoines en
pratiquant l’usure ou en rachetant à bas prix les terres des
petits propriétaires fonciers ( différents de la tenure), la
concentration du patrimoine de l’élite s’accroît
tandis
que les petits porteurs se voient « spolier » le peu de
patrimoine qu’ils ont pour
s’acheter des subsistances, dès
le 16eme siècle, on assiste à un fossé grandissant entre la classe
possédante et classe démunie, une inégalité s’accroît entre
propriétaires absents et urbains et les tenanciers ruraux. La
société adopte des traits de plus en plus capitaliste avec une
conception de lutte des classes. Les liens économiques sont moins
personnalisés et deviennent contractuelles, la terre devient
marchandise … dans les régions à forte concentration foncière,
un décalage se désigne entre l’idéale confucéenne et la
réalité un dilemme apparaît pour la masse de petits paysans
chinois: se soumettre ou lutter,
on assiste à un début de polarisation de la société chinoise un
combat entre charités,
insécurité et militarisation des campagnes.
À tout
cela on peut ajouter les infanticides et la prostitution qui sont des
vecteurs de tensions et d’instabilité politique et sociale.Et
pour couronner le tout, il y a un problème de communication entre
administration centrale et administration locale typiquement
caractéristique des systèmes organisationnels bureaucratique
(outils, délais de réponses tardif en cas de famines de la
hiérarchie, nombre de fonctionnaires réduits, corruption …).
Face
à ces conséquences liées aux famines, les autorités publiques
doivent répondre rapidement aux problèmes liés à l’accroissement
de la population, il faut d’abord segmenter la population
géographiquement afin de répondre aux besoins de tous. Il y a
nécessité à organiser des soupes populaires ainsi que des aides
sous formes physiques ou d’assistance monétaire, l’heure est à
la réforme. On en vient à la deuxième partie celle du dispositif
employer par l’administration pour lutter contre le déséquilibre
entre population et production agraire.
Il
faut noter que l’administration chinoise ressemble déjà à un
état moderne à cette époque l’État dispose de puissants outils
statistiques pour lutter contre ces famines (une sorte d’INSEE à
la chinoise du 18eme siècle).
La
première analyse que nous pouvons faire sur le paysage agricole
chinois, c’est que certaines régions sont spécialisées dans
certaines cultures (sojas, tabac, coton, céréales..) par conséquent
il y a une relation d’interdépendance entre les zones
géographiques et afin que les richesses puissent circuler à travers
le pays, la première mesure à prendre est l’abolition de
barrières tarifaires à l’intérieur du pays (droit douanes
internes), il faut unifier le marché pour que les richesses
circulent de façon efficace et diminuer les amplitudes de prix dans
les régions isolées ou la famine sévices . Les régions ayant un
surplus agricole peuvent approvisionner les régions en déficit
agricole. De plus l’administration chinoise cherche à intervertir
sur le commerce extérieur chinois, les exportations de produits
agricoles sont suspendus (sauf le soja de Mandchourie) ce qui a pour
effet de maintenir des prix bas en interne. Un mécanisme de
solidarité s’instaure en Chine entre régions exportatrices et
importatrices (même si les intérêts entre les différentes
administrations locales sont divergentes).
L’État
a investi au cours du 18eme dans les infrastructures publiques
(routes, barrages …) ce qui permet une unification du marché même
les régions densément peuplées et isolées (exemple Sichuan)
peuvent être approvisionnées cela permet une baisse des coûts
liées aux transports de subsistance. L’investissement s’est fait
aussi dans la gestion hydraulique les barrages entretenus par la
gentry permettant une augmentation des rendements agricoles dans
toute la Chine. Ce sont des mesures mercantilistes similaires aux
états européens aux cours du 17eme siècle.
On
remarque aussi que les autorités ont eu l’idée de créer dans
chaque province chinoise et dans chaque « préfecture »
des greniers publics ou sont stocker des réserves locales de
céréales en cas de pénuries. Cette mesure a pour but de lutter
contre le dérapage des prix c’est un moyen de contrôle peu
efficace car il permet uniquement de baisser de 10% le prix de marché
en cas de famine. Ces greniers ont des réserves de céréales à
prix constants (les autorités achètent à prix « normal »
pour les revendre en situations de pénuries). Il faut aussi noter
qu’il y a un effet pervers à ce système (qui est d’abord
destiné aux plus démunis), certains fonctionnaires corrompues
vendent ces subsistances à prix réduit à des personnes qui ne sont
pas dans le besoin et qui eux aussi à leur tour vont le revende au
prix du marché ou qui les stocks pour spéculer sur les prix à la
hausse (il y a même a cette époque des firmes de courtage qui se
développent). La décentralisation permet de réduit les délais de
réponses en cas famine de la part des autorités publiques mais le
revers de la médaille est la monté de la corruption de la gentry,il
y a méfiance vis à vis du commerçant mais l’administration a
besoin de lui et collabore même. Il est intéressant de noter que
cette décentralisation du pouvoir est accompagné en partie par un
financement de la part de la bourgeoisie (et donc par le privée)
pour des raisons de prestiges ou par peur de révoltes.
Ce
système de greniers publiques montre quand même des limites et
d’ailleurs les empereurs chinois (Qianlong et Yang Zhang) en sont
conscients les prix réduits ne permettent pas de dominer le prix de
marché, c’est le laissez faire à la chinoise. L’autorité
centrale a toujours refusé d’administrer les prix elle connaît
les effets pervers du dirigisme économique. Une autre limite de ce
système de stockage est la diffusion de la crise à une autre
région, ce système de stockage est une composante de la demande (ou
emplois) au même titre que la consommation et les exportations par
conséquence cella maintien les prix de façon élever de façon
artificielle à court terme (au début de la mise en place de ce
système de greniers)
D’autres
mesures viennent d’ajouter comme la fixation des flux de
population, cette mesure consiste à lutter contre les migrations en
cas de famines qui détruisent à long terme et moyen terme les
cultures futures, des campagnes de propagandes sont menées pour
discriminer les populations qui quittent leurs régions, des
allocations de retour sont créés mais une fois encore il faut faire
attention aux «faux errants».
Des
dispositifs sont mis en place pour améliorer les rendements
agricoles, après les famines les autorités publiques financent les
paysans afin qu’ils puissent acheter des semences agricoles ainsi
que des bêtes pour labourer la terre ceci augmente le potentiel
productif après les inondations et les sécheresses.
Des
mesures fiscales sont prises comme des reports d’impôts,
remboursements de prêts ou des impôts fonciers dégressifs. Les
autorités rachètent aussi leurs productions à un « prix
juste » pour alimenter les greniers (ni trop élevé car pas
rentable pour les autorités, ni trop bas pour ne pas désinciter
l’investissement agricole)
Tout
au long du 18eme siècle on assiste à une amélioration extensive du
monde agricole chinois grâce aux incitations individuelles
microéconomiques des autorités (fiscalité, subventions …) ainsi
qu’aux interventions macroéconomiques (suspension des
exportations, investissement publiques dans les aménagements
hydrauliques et contrôle du débit des fleuves …) qui éloigne le
spectre de la famine. Les rendements agricoles sont meilleurs et ces
interventions sont plus efficaces que les greniers, la sécurité du
droit de propriété privée est respecté, la reforestation et
l’irrigation sont devenues
Nous
pouvons découper en deux périodes le 18eme siècle:
1700
à 1750: manipulation du marché en intervenant sur celui-ci en
unifiant les marchés internes, greniers, achats publiques, cadres
réglementaires …
1750
à 1800: efficacité de l’état, intervention purement financière,
amélioration du pouvoir d’achat et des rendements agricoles ...
Pour
conclure sur ce livre, il est intéressant de constater que tous ces
dispositifs mis en place par la bureaucratie chinoise au cours du
18eme siècle ont permis de lutter contre une catastrophe
Malthusienne et de muter le paysage agricole chinois (ceci peut être
assimiler à une petite révolution agraire pré-moderne) même si
ces dispositifs montrent des limites: la corruption est toujours
présente aux sein des fonctionnaires (falsifications des documents
comptables des greniers par exemple …), aucune croissance du nombre
de fonctionnaires qui est sensé aller de pair avec la croissance
démographique, difficultés pour prélever l’impôt, détournement
illégal des eaux, dépréciation des infrastructures hydriques …
Nous
pouvons aussi ajouter que ce qui a révélé les limites de ce
système est tout simplement la croissance continue de la population
qui a dépassé la croissance agricole, l'innovation
organisationnelle, l'extension et l’unification des marchés , la
diffusion technologique(semences) permettent bien d'augmenter la
production agricole mais ne permet pas de lutter contre la loi des
rendements décroissants (cela permet de gagner quelques années)
seuls les innovations radicales (de type procédé) permettent de
faire progresser la production agricole de façon exponentielle. Des
tensions politiques apparaissent à l'intérieur du pays au cours du
19eme (rebellions Taiping, révolution des boxers, sectes,
banditisme) ainsi qu'a l’extérieur (les guerres d'opium)
Il
faut ajouter à tout cela que la Chine a connu des problématiques
sur le plan idéologique similaires à l’Europe: le mercantilisme,
le libre-échange, laissez faire, Les empereurs favorables aux libre-
échange interne mais pas avec le reste du monde…
Sur
le plan culturel, il y a un affaiblissement du confucianisme et des
idéaux moraux,Au
tournant du 19eme siècle La Chine est en passe devenir une nation en
déclin, il aura fallu attendre le 21eme siècle pour enrayer cette
chute.